L’arbitre s’avance au centre de la patinoire, tenue de bagnard sur lui et sifflet à la main. Il s’arrête, attend que le public termine de le siffler avant d’annoncer la couleur de l’improvisation : «Improvisation mixte, sur le thème « Mais où est donc passée Tatiana ? » , durée de l’improvisation : 3 minutes, catégorie comédie musicale » et de conclure son intervention par un « Cocus » qui permet de réunir chacune des équipes entre elles. Le public reprend en chœur : « 3 minutes, olala, c’est long ! ». Le terrible arbitre siffle et débute l’improvisation sous les yeux d’un public friand d’humour, de jeux de mots et de renversements de situation.

Si vous ne connaissez pas les matchs d’improvisation, le paragraphe précédent a du vous paraître truffé d’énigmes et de points d’interrogation. Pour les résoudre, bienvenue en planète « Impro », suivez le guide et laissez vous embarquer par cet univers aussi bien rempli de créativité que de convivialité.

Des racines québécoises

L’improvisation puise ses sources du Québec. Sous l’impulsion de deux hommes de théâtre québécois, Robert Gravel et Yvon Leduc, est née en 1977 la Ligue Nationale d’Improvisation (LNI), coïncidant avec la naissance des matchs d’improvisation.

Mais qu’est-ce que ces matchs d’impros ? Pour le savoir, suivez la recette…

Recette d’un match d’impro réussi :

Pour un match d’impro réussi, il vous faut :

  • Des joueurs et une « patinoire » : Deux équipes d’improvisateurs s’affrontent en tenue de sportifs sur une « patinoire » blanche, mais heureusement non glissante. Ce qui rappelle le sport typique et répandu au Canada : le hockey sur glace.
  • Une technique théâtrale : Les improvisateurs sont considérés comme de réels sportifs qui s’affrontent lors de matchs. Les joueurs s’échangent des jeux de mots, ont une réelle technique théâtrale vocale et gestuelle et improvisent des situations à tout moment.
  • Un public : celui-ci assiste à ces matchs et a pour rôle de voter à l’issue de chaque improvisation pour l’équipe qu’il a trouvé la meilleure.

Assurez-vous que les trois ingrédients ci-dessus sont réunis et passons directement à l’étape suivante : le déroulement de ces matchs.

Déroulement des matchs

  1. L’arbitre annonce :
  • le thème (qui peut être inscrit par le public sur un petit papier avant le match)
  • la durée de l’improvisation
  •  le nombre de joueurs
  •  sa catégorie, s’il y en a une, sinon la catégorie est « libre ».
  • improvisation « mixte » ou « comparée » : Si l’improvisation est mixte, les joueurs des deux équipes se rencontrent lors de l’improvisation et si elle est comparée, les équipes jouent tour à tour.

2. L’improvisation en elle-même

3. La fin et le vote, signalées par le sifflet retentissant de l’arbitre qui compte ensuite les votes du public et attribue le point du match à l’équipe qui a recueillie le plus de voix. L’abrite peut également siffler certaines fautes au sein de l’improvisation telles une sortie de thème, une faute de cabotinage (ne pas accepter la proposition du partenaire) ou de complaisance (faire plaisir au public).

Les improvisations s’inscrivent donc dans un cadre donné, ce qui n’empêche pas (bien au contraire) de prendre du plaisir que l’on soit joueur ou spectateur à regarder ou jouer des improvisations !

Catégories d’improvisations les plus courantes :

  • Chantée ou comédie musicale
  • Abécédaire : la première phrase de l’impro commence par un A et la dernière se termine par un Z tout en suivant l’ordre alphabétique
  • Cinéma muet : en référence au mime et à Charlie Chaplin
  • Doublage américain : un comédien fait les gestes, l’autre s’occupe de parler à sa place et de faire les sons
  • Peau de chagrin : l’improvisation dure d’abord 3 minutes puis est rejouée dans des temps de plus en plus restreints : 2 minutes, 1 minute, 30 secondes, 5 secondes…
  • A la manière de… un grand acteur, par exemple Louis de Funès (mais aussi Molière, Shakespeare)

La liste est juste donnée à titre d’exemple, de nombreuses autres catégories existent et sont à inventer pour le plaisir des spectateurs et peut-être le malheur des acteurs…

Des ligues et des coupes

Peu après l’invention de la LNI au Québec, dans les années 1980, des ligues d’improvisation professionnelles apparaissent en Europe : en France, Belgique, Suisse… Ces ligues développent dans leur pays respectifs les matchs d’impro et permet à de nombreuses ligues, professionnelles ou amateurs de voir le jour. En France, on compte aujourd’hui six ligues d’improvisation professionnelles et beaucoup de ligues amateurs, qui peuvent être créées sous l’impulsion de compagnies théâtrales.

L’improvisation est donc née dans des pays francophones. Depuis 1985, plusieurs coupes du monde de l’improvisation ont eu lieu. Le concept ne s’est pas éteint car en ce début d’année 2015 s’est déroulée la « Coupe du monde de l’improvisation » en France, faisant se rencontrer lors de matchs haut niveau six équipes bien rôdées. Le Québec, la France, la Belgique, la Suisse, le Luxembourg et le Maroc y participaient. Des matchs par poule ont été organisés jusqu’à la grande finale qui se tenait dans la mythique salle de concert de l’Olympia, à Paris.

Coupe du monde de l’improvisation : une finale olympique

Amatrice éclairée et ancienne joueuse d’impro, je faisais partie des 2000 personnes présentes le 24 mars 2015 à l’Olympia pour assister à cette finale de haut vol qui plaçait la France contre le Québec. Deux équipes sur-motivées, quatre joueurs excellents dans chaque équipe accompagnés de leur entraîneur. Un public chauffé par l’animateur ainsi que par le musicien Simon Fache. Des arbitres hués dans la bonne humeur générale comme si il se faut mais surtout… des improvisations de qualité ! Sur des catégories complexes : comédie musicale de 15 minutes, cinéma muet, à la manière de Bertolt Brecht (encore faut-il connaitre ce dramaturge et metteur en scène allemand)… Les joueurs ont prouvés au public qu’ils avaient une créativité et une technique à toute épreuve. Cette finale s’est terminée sur un score très serré. La France a fini par l’emporter lors d’un dernier match sur le résultat final de 7 à 6. Une remise de prix a clôt cette soirée exceptionnelle par certaines coupes décernées pour la meilleure équipe, le et la meilleur(e) joueur/joueuse, le joueur le plus fair play, la révélation d’un joueur… Une sorte de petits Molières décernés à ces improvisateurs qui portent haut les couleurs de leur pays.

Mais s’ils représentent un pays, les joueurs représentent surtout un esprit. L’esprit de l’improvisation est convivial. Ces matchs sont des moments de partage, d’écoute et d’humour pour faire partager au public la passion de l’improvisation. L’improvisation a donc su s’inscrire comme un art à part entière qui réserve son lot de surprises inédites à chaque fois que cet esprit d’impro se manifeste.

Selon Charlie Chaplin, « L’esprit d’improvisation est un défi au sens créateur. »

En effet, car les ligues d’improvisation diversifient leurs actions, faisant ainsi naître des formes innovantes alliant par exemple le cirque et l’impro lors de matchs d’Impro/Cirque. Mais cette discipline est encore assez minoritaire malgré les nombreuses actions menées. Ces nouvelles formes inventées prouvent que l’improvisation a de l’avenir. Amateurs, professionnels ou spectateurs, l’essentiel est de faire vivre l’esprit d’improvisation dans une bonne humeur générale.

Joueur et s’amuser, pourraient être les deux mots d’ordre de ce sport théâtral particulier.

Juliette Piat

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