Pour réaliser un film, il faut avant tout un sujet, une trame. Celle-ci découle d’une inspiration, d’une idée, d’un flash : « je tiens ici LA bonne idée ». Le sujet doit être assez large pour que le film soit consistant (une intrigue bien ficelée, une histoire d’amour avec de nombreux rebondissements, un sujet didactique…) mais il faut également que le spectateur ne reste pas sur sa faim : il doit sortir satisfait de la salle de cinéma. Mais où donc chercher son inspiration ? Dans la vie quotidienne pour un film réaliste ? Dans notre imaginaire pour la science-fiction ? Il y a plus simple : que diriez-vous d’une source intarissable de sujets, dans laquelle ont déjà puisé moult réalisateurs ? Il s’agit bien entendu de l’Histoire, avec un grand H. Quand certains cherchent à anticiper l’avenir en produisant des films futuristes, d’autres se tournent au contraire vers le passé afin d’en dévoiler les mystères et de donner aux spectateurs une autre vision de certains événements.

Quand l’Histoire inspire le cinéma, cela donne naissance à des intrigues replacées dans leur contexte historique, et cela permet de montrer certains aspects de la vie (plus ou moins romancée) selon les différentes époques. Ainsi Jean-Jacques Annaud rend-il compte des luttes de pouvoir entre bénédictins, franciscains et Grande Inquisition dans une abbaye au XIVème siècle, dans son célèbre film Le Nom de la rose.

Certains faits ont marqué l’Histoire plus que d’autres, et ont d’autant plus inspiré le cinéma. Prenons par exemple la Seconde Guerre mondiale : cet événement majeur constitue encore et toujours le théâtre de nombreux scénarios cinématographiques. La Rafle, réalisé par Roselyne Bosch en 2010, met en scène des acteurs de choix (Gad Elmaleh, Jean Reno, Mélanie Laurent) pour retracer la rafle du Vel’ d’Hiv’ de juillet 1942. Cependant, si ces réalisateurs ont choisi la narration d’événements historiques emblématiques, d’autres ont fait un autre pari. Celui-ci semble d’ailleurs se généraliser depuis quelques années. Ce pari est simple : choisir des faits historiques importants mais méconnus (ou au contraire tellement médiatisés que l’opinion publique ne sait plus où donner de la tête), et les révéler au grand jour grâce au septième art.

En conservant pour cadre historique la Seconde Guerre mondiale, comment innover et se démarquer de tout ce qui a déjà été fait ? Qu’ignore encore le public concernant cette période et qui mérite d’être sorti de l’ombre une bonne fois pour toutes ? Morten Tyldum a trouvé la solution en 2014 : populariser, à travers le film Imitation Game, les travaux d’Alan Turing. Interprété par Benedict Cumberbatch, ce-dernier a en effet réussi, grâce à ses prodigieux talents de mathématicien, à mettre au point une invention capable de décrypter les codes transmis par Enigma, la machine nazie. Ce film plonge ainsi le spectateur non pas dans l’horreur des camps, de la vie sous Pétain ou Hitler, mais dans l’atmosphère d’une nouvelle forme de Résistance, méconnue du grand public. Grâce aux performances époustouflantes des acteurs et du réalisateur, nous nous retrouvons plongés au cœur du film qui remplit parfaitement son contrat : nous faisons un saut dans le temps, original et instructif.

Changeons de période, et passons à ce qui semble être devenu le dada des réalisateurs : sur la base d’un livre le plus souvent, adapter l’histoire d’un scandale historique sur le grand écran. Plusieurs ont donc eu droit à leur médiatisation. Le scandale du Watergate est retracé par Alan J. Pakula dans Les Hommes du président en 1976. Il met en scène les deux journalistes (interprétés par Dustin Hoffman et Robert Redford) qui ont enquêté pour le Washington Post sur l’affaire d’écoutes téléphoniques orchestrée par le Président Richard Nixon. Ce film est l’un des premiers à révéler un tel scandale, et les anecdotes se sont multipliées : Katharine Graham, à la tête du Washington Post, après avoir exprimé ses réticences à l’égard du tournage, a finalement félicité Robert Redford. Il est également de notoriété publique que ce film fut le premier visionné par le président Jimmy Carter au cours de son mandat. Enfin, le numéro de téléphone de la Maison-Blanche est dévoilé.

Autre scandale : WikiLeaks. Le film de Bill Condon sorti en 2013 reprend l’histoire de Julian Assange et de son partenaire à ses débuts, Daniel Domscheit-Berg, auteur du livre à l’origine du film. Intitulé Le Cinquième Pouvoir, il révèle la façon dont le projet de Julian Assange, hacker australien rêvant d’un journalisme exprimant la stricte vérité, sans filtre ni dissimulation, a évolué. On y découvre ainsi comment l’intérêt croissant que leur ont prêté les autres médias et les gouvernements a transformé ce projet idéaliste en projet dangereux, mettant des vies en péril avec la diffusion de données confidentielles au nom de la transparence de l’information. Au niveau du casting, on y retrouve l’excellent Benedict Cumberbatch, accompagné de Daniel Brühl et Anthony Mackie. Le réalisateur traite le scandale comme un drame, en reprenant la réalité et en la faisant apparaître avec un tel savoir-faire qu’on croirait presque à un scénario de fiction.

Enfin, le plus récent : Citizenfour. Réalisé par Laura Poitras et sorti en 2014, ce film documentaire révèle les dessous de l’affaire de surveillance mondiale de la NSA suivant les déclarations d’Edward Snowden. Celui-ci a en effet contacté la réalisatrice sous le pseudonyme « Citizen Four », se disant prêt à divulguer des informations sur le système de surveillance illégale pratiqué par plusieurs agences de renseignement, dont la NSA. Celle-ci se rend donc sur place, à Hong Kong, afin de filmer leur rencontre. Ce film détonne des précédents dans la mesure où il s’agit d’un documentaire : il n’a donc pas pour objectif de proposer de la fiction ou des performances d’acteurs célèbres. Oscarisé, ce film a remporté un franc succès auprès des spectateurs, contrairement au Cinquième Pouvoir qui fut classé par Forbes au Top 10 des flops du cinéma l’année de sa sortie.

Le documentaire Citizenfour retrace l'histoire de l'ancien agent de la NSA Edward Snowden                                         Le documentaire Citizenfour retrace l’histoire de l’ancien agent de la NSA Edward Snowden

Et maintenant ? Quel prochain scandale passera lui aussi par les bobines ? La rumeur court que Georges Clooney projetterait de tourner un film sur le scandale de News Of The World : la découverte d’écoutes téléphoniques des familles des victimes du 11 Septembre, menées par Rupert Murdoch, magnat des médias. Quel en sera le résultat ? Réponse dans les salles…

Le cinéma trouve donc son inspiration dans les différentes affaires mystérieuses et scandales qui ont éclaboussé les pages de l’Histoire, en les mettant en scène grâce à des acteurs talentueux, en étoffant ou non le scénario, pour arriver à un film distrayant et intéressant, tant sur le plan historique que philosophique : au sortir de la salle, le spectateur se surprend à s’interroger sur les questions soulevées par les films : jusqu’où doit aller la transparence de l’information ? Peut-on faire confiance à ceux qui nous gouvernent ? Les agences de renseignement abusent-elles de leur pouvoir ? Toutes ces questions sont posées par le fait historique considéré et par le traitement choisi par le réalisateur, donnant au septième art une toute nouvelle dimension.

Léa Szulewicz