Parmi les grandes figures Canadiennes aujourd’hui auréolées à Hollywood, le réalisateur David Cronenberg est souvent cité pour avoir ouvert une porte à ses compatriotes, porte d’entrée dont a joui l’acteur et récemment réalisateur Ryan Gosling trop souvent associé aux Etats-Unis. C’est néanmoins l’industrie Hollywoodienne qui a forgé l’image du canadien Gosling, souvent en inadéquation avec sa réelle personnalité. Aujourd’hui, dans nos systèmes où l’information est manipulée, déformée, les jugements immédiats et les préjugés s’accélèrent, ce qui coince certaines personnes dans un irrémédiable cercle vicieux. Ils s’avèrent être conspués pour leurs choix de carrière alors qu’ils sont réduits à un choix exigu de disponibilités.  

Même si Ryan Gosling ne s’est éloigné que peu de fois de sa droiture cinématographique, il n’en reste pas moins que son image de sex-symbol lui colle à la peau, ce qui nuit à sa notoriété. La reconnaissance est nécessaire pour qu’un acteur puisse percevoir de l’intérêt dans son travail, mais uniquement lorsque cette renommée corrobore son talent. Pour le cas Gosling, une grande majorité de ses admirateurs et surtout de ces admiratrices, insiste uniquement sur son physique avantageux, et la lumière que Ryan Gosling projette par conséquent est celle d’un acteur juste bon à exciter le public par sa présence. Son premier film en tant que réalisateur qui est sorti en avril, Lost River, a reçu un accueil très mitigé à Cannes, et Ryan Gosling a expliqué cette réception en disant : « Mon film a reçu un accueil mitigé, du fait de l’image qu’on me donne sur  Internet. Si le film avait été fait par un autre, le film aurait été mieux chroniqué. » Le problème devient alors crucial : l’image du public reste paradoxale, elle peut être salvatrice comme dévastatrice.

Ryan Gosling dispose d’un public très attentif, mais il éprouve une grande difficulté à être respecté par les figures du 7ème art. Réinsufflons un peu de justesse dans tout ce capharnaüm : Ryan Gosling est un des meilleurs acteurs de sa génération et le mettre sur le même piédestal que Michael Fassbender, Christian Bale, ou Matthew McConaughey n’est point osé. Gosling a toujours su donner de l’étoffe à ses personnages, avec des approches diverses que nous allons analyser peu après. Il essaye toujours de se renouveler, de promulguer un message neuf par le biais d’une nouvelle interprétation, donc jamais son cinéma ne prend une ride. L’art de se réinventer n’est pas attribué à tous, des acteurs comme Jim Carrey ne savant jamais aborder leurs personnages d’un œil pluriel. De ses spectacles musicaux à la télévision dès l’enfance à sa première réalisation, nous avons pu découvrir plusieurs facettes de Ryan Gosling, dont nous allons désormais parler :

1) DANNY BALINT (2001) :

Première étape charnière de la carrière de Gosling, Danny Balint narre l’histoire vraie d’un Juif néo-nazi. Etape charnière de par le fait que la complexité du personnage est difficile à saisir, tout comme le fait qu’à cette époque là, Gosling n’a à son arc aucune flèche. Il franchit une marche abrupte, passe de son rôle dans les séries d’Hercule à ce récit froid et cynique sur l’extrémisme aux Etats-Unis. Le crâne rasé et la brutalité de Danny Balint ne laissent pas indemnes sur le regard qu’on peut porter à Ryan Gosling. Véritable perle du cinéma indépendant, Danny Balint approfondit plusieurs sujets comme par exemple les paradoxes et les limites de l’être humain tout en suscitant un sentiment rare : l’effroi face à nos propres comportements.

Les années qui suivent sont ardues pour Ryan Gosling, et les échanges qu’il va entretenir avec Barbet Schroeder pour Calculs Meurtriers ou Nick Cassavetes pour N’oublie jamais demeurent infructueux. La nouvelle surprise de Gosling se réalise en 2007 avec un personnage toujours aussi tortueux :

2) HALF NELSON (2007) :

Half Nelson dévoile le récit d’un professeur d’histoire dont l’addiction pour la drogue va être repérée par une de ses élèves, particulièrement attentionnée. Opérant dans un lycée de banlieue, le film ne fait pas un choix étroit, car il décide d’embrasser plusieurs points : le professeur est symbole de cette rédemption que tout homme qui a commis des erreurs va vouloir atteindre. L’addiction du professeur, et toutes les conséquences qu’elle comporte par exemple la perte des liens sociaux, doit être particulièrement résorbé : ce professeur a choisi ce métier car la transmission du savoir et de la connaissance demeure une marque d’héroïsme, un moyen d’accéder à un apaisement spirituel. Le professeur veut attribuer à chaque élève une opportunité de réussir, car il est piégé par son addiction et seuls ces cours font office de rupture avec son quotidien douloureux. Se savoir cloisonné dans le malheur à tout jamais relève d’un mal-être insurmontable que Ryan Gosling a capté avec brio. L’Académie américaine des Arts a su reconnaître une seule fois le talent du Canadien, et c’était pour Half Nelson avec sa nomination à l’Oscar, malheureusement décevante.

3) DRIVE ET ONLY GOD FORGIVES (2011 ET 2013) :

Après quelques années et quelques films comme Blue Valentine ou Une fiancée pas comme les autres, la nouvelle illumination de Ryan Gosling a été de s’associer au réalisateur génial qu’est Nicolas Winding Refn, en 2011 pour Drive et en 2013 pour Only God Forgives. C’est à travers ces interprétations que Ryan Gosling met en exergue une subtilité rare et nouvelle dans son jeu. C’est une vertu interprétative que peu d’acteurs parviennent à détenir, savoir transmettre ses sensations non pas par le biais des paroles, mais grâce aux expressions du visage, la position du corps et la gestuelle. Si un exemple plus récent vous est nécessaire, mettons en concurrence ces deux nominés aux Oscars 2015 : Steve Carell est brillant dans Foxcatcher, en étant émotif il nous divulgue l’état d’esprit du personnage – sa tête en arrière, sa lenteur dans ses mouvements, son dos voûté étant figures de l’accablement.

A contrario, nous avons l’illégitime, l’extraverti et non-mérité Oscar du meilleur acteur Eddie Redmayne dans Une merveilleuse histoire du temps, qui se répète sans cesse au sein du film pour réussir le rôle vain de tire-larmes du film. Dans Drive et Only God Forgives, Ryan Gosling emploie la même interprétation réservée qui diffuse une aura intellectuelle grandiose en en disant si peu. Mais là où Gosling dépasse l’excellence, c’est que le même jeu renvoie à deux caractères complètement distincts, celui de la vengeance froide presque animale pour Drive à l’inverse d’Only God Forgives où ce même jeu transposé pose un regard sur l’impuissance et la lâcheté. Savoir imposer de telles nuances au sein d’un même jeu, cela relève du génie.

A cela s’ajoute le fait que ces deux films sont de réels tours de force aussi bien dans leur réalisation que dans leur photographie. Le réalisateur Danois, Nicolas Winding Refn, est un talent unique, roi du travelling lent et esthétisé. La justesse du cadre tout comme l’ambiance poissarde et anxiogène qu’il développe. Tout cela est aidé par le jeu des lumières, alternant les différentes tonalités grâce à la palette de couleurs dont use le directeur de la photographie Newton Thomas Sigel. A travers ce jeu permanent de couleurs et sa réalisation, Refn s’appuie sur un symbolisme prononcé pour faire évoluer les personnages de Ryan Gosling. Et plus que stimuler une face dissimulée de l’acteur, Refn est une pierre angulaire dans les fondements de l’inspiration du réalisateur Ryan Gosling.

4) LOST RIVER (2015) :

Ryan Gosling est désormais lancé comme acteur, mais je vais devoir laisser de côté les bons films que sont Les Marches du Pouvoir et The Place Beyond the Pines au profit de Lost River. Ryan Gosling désire s’engager dans une voie nouvelle dès 2013, celle de la réalisation et de l’écriture, non pas de manière définitive, mais plutôt à la manière d’un coup d’essai. Ce coup d’essai est remarqué à Cannes dans la sélection Un Certain Regard, où il est décrit comme le digne héritier des films de Refn, tout comme ceux du maître de l’onirisme David Lynch ou ceux de l’incomparable prophète du « glauque », Gaspar Noé. Tant de directions propres à délivrer une œuvre à la fois malsaine et d’une extrême violence, Eraserhead de David Lynch, Irréversible de Gaspar Noé et Bronson de Nicolas Winding Refn étant classées dans les œuvres les plus choquantes de l’Histoire du cinéma. Lost River est un coup d’essai pleinement réussi : dans un monde où le lien social s’est délité, une mère cherche à protéger ses enfants face à l’âpreté de leur vie et du monde amer qui les entoure. Son fils va alors découvrir un monde souterrain dans lequel ils devront aller au bout pour sauver leur famille.

Le film bascule d’un tableau à un autre : notre monde actuel dépeint dans son avenir intéresse tout d’abord Ryan Gosling, qui a tenu à privilégier le réalisme des décors en ancrant son tournage dans les réels quartiers abandonnés de Détroit. Le monde de Lost River semblait lointain et invraisemblable, pourtant il se situe dans cette vraie ville fantôme située dans le territoire de la première puissance économique mondiale actuelle, les Etats-Unis. De plus, Gosling, pour diversifier son propos central, apporte une brise nouvelle avec ces teintes de fantastiques parsemées dans le film tout comme sur le regard qu’il consacre à la maternité. De cette manière, Ryan Gosling cherche donc à fournir à ce film sa propre idéntité entre ces différentes inspirations très marquantes. Enfin, Gosling évite l’erreur dans laquelle se plonge la majorité des acteurs-réalisateurs, et manie avec adresse sa propre réalisation qu’il enrichit tout au long du film. Gosling est ambitieux, il varie les cadres, les mouvements de caméra vivaces, pour épouser le caractère instantané de la violence chaotique du monde de Lost River.

A travers plusieurs pans de sa carrière, Ryan Gosling prouve que son talent ne résulte pas de ses abdominaux. Il n’est pas représentatif des sex-symbols, il est la figure de proue d’une jeunesse cinématographique audacieuse, qui ne répond pas au prisme de la facilité ou de la paresse, mais qui recherche la complexité.

Arthur Guillet

[email protected]