Ils sont rares, ces spectacles où l’on peut entendre : « Résister, savez-vous encore ce que ça veut dire ? », ou encore « Connecter à qui ? A quoi ? ».

Ce spectacle a un nom : Le Messie du peuple chauve, une metteuse en scène : Julie Duquenoy, et une jeune compagnie prometteuse appelée Corne de Brume, composée de comédiens  tous sortis de l’école Claude Mathieu à Paris (école de Jean Bellorini – directeur du Théâtre Gérard Philippe à Saint Denis – et de Camille de la Guillonière).

Cette pièce a vu le jour d’après son roman éponyme, écrit par Augustin Billetdoux. L’auteur a baigné dans l’univers d’une famille littéraire prolifique et a déjà collaboré pour la dernière mise en scène de la compagnie, nommée Ni Dieu ni Diable. Pour ce spectacle, l’équipe a gagné le prix du Théâtre 13 des jeunes metteurs en scène 2014. Le dramaturge s’est inspiré de son expérience en tant que blogueur pour Le Nouvel Observateur, lors du sommet sur le climat de Copenhague (2010), pour écrire son roman Le Messie du peuple chauve (éd Gallimard). Son ouvrage a été remarqué par les journalistes lors de la rentrée littéraire 2015. Ces derniers n’hésitent pas à tarir d’éloges à son égard, le comparant même à un écrivain « fantaisiste à la manière de Boris Vian », dressant un parallèle entre la chute de cheveux de Simon et le cancer de nénuphar de Chloé dans L’Ecume des jours.

Deux planètes en papier mâchées sont éclairées : ce sont les deux premiers objets lumineux que l’on remarque d’emblée en tant que spectateur. Dessus sont projetées des images d’archives ; par exemple, des discours d’hommes politiques lors de différents sommets environnementaux. Ces deux planètes Terre symbolisent le sujet central de la pièce. Le protagoniste principal vit sur cette même planète, il s’appelle Simon, a 25 ans, et est atteint d’alopécie androgénétique, terme scientifique désignant la calvitie.

Cette perte de cheveux pourrait paraître dérisoire, mais c’est à partir de ce postulat que seront développées les différentes situations du spectacle. La chute devient métaphysique, et est à l’origine de nombreuses questions que se pose Simon. L’amour est l’une de ces questions : Simon se demande si les filles seront encore attirées par lui ? Ou perdra-t-il tout son potentiel de séduction, démuni de ses cheveux ? Dans les deux cas, Simon ne sera pas satisfait : si les filles s’intéressent encore à lui, c’est qu’elles aiment les chauves, et si elles se détournent de lui, c’est forcément à cause de sa calvitie déjà bien avancée. Les questionnements du chauve sont mis en espace dans une scénographie ingénieuse et construite exclusivement avec des matériaux recyclés qui lui confèrent une simplicité appréciée. C’est ainsi que les cubes de bois sur lesquels se tiennent les personnages deviennent, étant assemblés, une table de forum lors d’une rencontre virtuelle entre chauves se posant des questions tout aussi existentielles que drolatiques. Ce spectacle est également l’occasion –rare- d’assister à des conversations à propos des désastres écologiques dans un salon de coiffure et d’entendre parler de Patcha Mama, la déesse des Incas ou déesse mère de la Terre dans cette civilisation.

De cette situation dramatique que vit Simon va naître une révélation : «  Nous sommes élus pour reboiser l’âme humaine. » Le reboisement des forêts, c’est déjà dépassé, il s’agit de lancer une révolte et d’émerveiller de nouveau les hommes ! Vaste mission… Les chauves se réunissent donc à Bordeaux pour baptiser un état chauve. L’énergie des comédiens est telle que de Bordeaux, leur souffle révolutionnaire les mène jusqu’à Paris ! Les membres du peuple chauve sont nos contemporains : ils jouent au foot et comptent parmi leurs adhérents une fille qui tombe amoureuse d’une autre fille rencontrée…sur Tinder ! Même ceux qui ne sont pas chauves sont acceptés : « J’ai pas de calvitie, mais j’ai de l’empathie. »  Constats climatiques et environnementaux et conseils écologiques sont ensuite égrenés. Le messie ira jusqu’à prôner que « Le changement de climat, c’est maintenant. »

Une fois cette vérité ultime de l’Etat chauve mise au point, il s’agira de réfléchir à une stratégie pour intégrer le Sommet des Nations Unies, à la manière dont François Ruffin – le président de Fakir et réalisateur de Merci Patron !- a intégré la réunion des actionnaires de Bernard Arnault. Mission accomplie pour Simon et son peuple chauve qui se cachent dans le public et guettent le moment propice pour fendre la foule imaginaire et porter leur message au monde. Simon prendra la parole en délivrant un beau discours final, débutant par : « Il y a ceux qui ont peur du monde que vous leur laissez… » et se terminant par un coup de feu sur le président. Un questionnement final est alors soulevé : « Faudra-t-il vraiment un mort pour en faire bouger 10 milliards ? ».

Les thèmes de ce roman adapté en pièce sont très riches et contemporains, mêlant l’amour, le pouvoir, la politique, l’environnement, l’écologie, le rapport à l’Autre, l’engagement, la mondialisation… Le Messie du peuple chauve est un spectacle dont on ressort à l’image de sa création : à la fois amusé, mais aussi un peu grave, avec des points d’interrogation plein la tête et beaucoup de délices langagiers à se remémorer, dont cette phrase que je vous livre maintenant : « Ne dites rien, il faut protéger les rêveurs. »

Alors chut maintenant. Il est temps d’applaudir ce spectacle, porté par une compagnie jeune et composée de jeunes plein d’énergie et de rêves… dont certains réalistes. (comme monter ce spectacle, par exemple). Je pars vous embrasser en vélo et j’enlève ma perruque pour vous saluer et vous crier un grand bravo !

Ce spectacle aura eu le mérite de reboiser mon âme le temps d’un beau moment théâtral. Et c’est une jeune qui vous l’écrit ! Chapeau bas. (Avec ou sans cheveux en-dessous…) Et n’oubliez pas de suivre le conseil que chante Woodkid pendant le spectacle: run boy (or girl) run… to the chauve’s show !

Juliette PIAT.

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